La tradition vient d’Italie. De Naples. Là-bas, tout client d’un bar peut commander le «sospeso» avec son «espresso» : il paye deux cafés mais n’en boit qu’un, laissant l’autre «en suspens» pour un semblable dans le besoin. C’est un peu la «place du pauvre» arôme arabica.

À Ixelles, Éric Duhamel belgicise la démarche. Dans son Frikot Bompa, on peut depuis jeudi lui commander une «frite suspendue» en plus de sa barquette personnelle. En échange, Éric remet un petit coupon avec un plan, daté et signé de sa main. Le client peut alors offrir le coupon à un sans-abri ou une personne dans le besoin du quartier. Qui n’aura plus qu’à retourner dire bonjour à Éric pour déguster ses frites.

Ni alcool, ni tabac

«Le café “en attente”, c’est bien», reconnaît le frituriste en référence à la tendance qui s’installe petit à petit en Flandre. «Mais celui qui dort dans la rue, il n’a pas d’argent pour acheter la gazette ou pour surfer sur internet à la recherche des cafés qui adhèrent au projet. Et puis, pour lui, ce n’est pas toujours facile de rentrer dans des restaurants. Ça fait un peu peur. Ici, il n’y a pas de châssis, pas de porte, c’est ouvert à tous. Jusqu’à minuit et 7 jours sur 7. Le fritkot, vous savez, c’est un peu un point de chute social».

L’idée d’échange est omniprésente dans l’esprit d’Éric. «Ceux qui viennent chez moi grâce à la “frite suspendue”, ils sont d’abord timides. Y a de la gêne quand même. Puis ils racontent leur histoire. C’est un peu le but aussi : faire connaissance. D’où le coupon : le contact est beaucoup plus fort que quand on donne une pièce de 2€.» Pour le généreux donateur, c’est aussi l’assurance que son geste ne sera pas transformé en alcool ou en tabac.

Frite bientôt suspendue partout en Belgique

Avec les entreprises qui souhaitent récupérer le buzz, Éric est aussi ferme que ses frites sont moelleuses. «Ils ne comprennent pas ce qu’on fait ou quoi?! Je veux pas faire de la pub. Ni du pognon! Je veux juste aider. Bien sûr, je ne peux pas donner toutes ces frites. Mais elles sont tout de même offertes. On va se protéger contre ceux-là».

Chez Bompa, on réfléchit à remplacer le coupon A4 par un badge avec plan «moins facilement falsifiable». Surtout, Éric espère que sa «frite suspendue» va essaimer aussi loin que son semblable torréfié. Ou du moins, conquérir la Belgique. «C’est le but. J’essaie de contacter les collègues sur Facebook ou par mail. Mon fabricant de sauce aussi trouve que c’est un bon plan. Et lui, il a tous les contacts. Croyez-moi, l’idée va faire son chemin».

Et se répandre dans le froid des rues comme l’alléchant fumet des bintjes dorées.

  • source: lavenir
  • Julien RENSONNET